La voix du sage dans une forêt de symboles
Aïsha Noez
1h24min45


113 pages. Temps de lecture estimé 1h25min.
Trois sages nous transmettent leur enseignement dans les récits de Hay Ibn Yaqzân, d’Ibn Sînâ au XIe siècle, puis de l’Archange empourpré, de Suhrawardî au XIIe siècle. Le troisième fait écho à cette sagesse médiévale dans Les Feuilles du Jardin de Morya, dans l’Inde du XXe siècle. Malgré l’écart temporel qui les sépare, ils convoquent les mêmes symboles pour instruire l’âme humaine sur le chemin de la vérité. Le dédale narratif de chacun des récits des deux philosophes perses est une aventure philosophique à explorer dans son propre cheminement intérieur.
Comment les enseignements du Sage permettent-ils à l’humain d’éviter, puis de dépasser les embûches qui entravent son chemin, afin d’accéder au monde des Intelligibles ? Ces trois textes proposent un enseignement toujours d’actualité, alors que l’humain est en prise à de multiples questionnements sur la spiritualité. Afin d’évoluer sereinement dans le tourbillon planétaire et globalisé de nos vies individualisées et en perpétuel mouvement, les trois sages livrent des clefs universelles de compréhension aux randonneurs spirituels, en puissance, que nous sommes. Parviendront-ils, ainsi, à réveiller le sage angélique qui sommeille en nous ?I- INTRODUCTION I.1. La voix sur la voie de la sagesse Le sage est celui qui nous guide vers le bien et la non-souffrance. C’est aussi cette voix intérieure qui nous permet d’avancer et de ne pas s’égarer sur le chemin de notre propre existence. L’être humain vient au monde dans un environnement qui lui est d’abord inconnu et qu’il apprend à reconnaître au fil du temps. La vie se présente, ainsi, telle que nous l’a si bien dépeinte Charles Baudelaire : La Nature est un temple où de vivants piliersLaissent parfois sortir de confuses paroles ;L’homme y passe à travers des forêts de symbolesQui l’observent avec des regards familiers.[1] Nous sommes cet être humain parfois égaré dans le champ infini de signes que nous présente la vie. Il s’agit, alors, d’opérer le bon choix pour avancer selon nos désirs et nos convictions, tout en prenant en compte le monde extérieur qui nous entoure. Or, l’interprétation des signes peut prêter à confusion, comme le clame si justement Baudelaire. Les symboles, visibles dans son poème « Correspondances », peuplent les textes depuis la nuit des âges. Il faudrait plus d’une vie humaine pour explorer ces champs sémantiques aux sens inépuisables. Au sein d’une abondante littérature philosophique, la voix du sage résonne afin d’éclairer, au fil de ses lectures, l’aventurier spirituel sur son chemin de vie.Afin d’explorer cette thématique très vaste de la voix de la sagesse, le cadre de notre étude s’applique à deux terrains temporels où vont venir se croiser des symboles similaires : le Moyen-Âge et le XXe siècle. Ensuite, nous portons notre œil explorateur sur une aire géographique qui s’étend au-delà de notre Occident : les terres d’Orient. C’est la Perse médiévale à travers les récits philosophiques d’Ibn Sînâ[2] et de Suhrawardî[3], puis l’Inde spirituelle reflétée dans les aphorismes de Morya[4]. Pour compléter notre champ d’investigation, il nous faut un ancrage aux traits humains. C’est là qu’intervient la figure du sage dans les textes que nous allons présenter plus avant. Disons que le sage, au Moyen-Âge oriental apparaît sous les traits d’un ange. Il ne s’exprime qu’à travers des images symboliques, dans la mesure où il veut laisser libre le champ d’interprétation de celui qui reçoit ses messages. De la sorte, il guide l’âme humaine en quête de vérité spirituelle, afin de donner un sens profond à sa vie. Le sage suggère à celle ou celui qui veut bien le suivre, des pistes à explorer. Il ne lui donne pas des réponses en tant que telles. Via l’usage des symboles, son intention est d’éveiller le mental de l’être humain, dont l’imagination est frappée par certaines images que l’Instructeur transmet. C’est dans une forêt de symboles, aux accents baudelairiens, que prend forme l’environnement « familier » et immédiat dans lequel évolue l’homme. Les forêts abritent des arbres dont les feuilles changent de couleur, selon les saisons, puis viennent à mourir. À la saison de l’ère numérique, en ce vingt et unième siècle, les feuilles philosophiques des auteurs médiévaux sont relayées par Les feuilles du jardin de Morya, ouvrage du XXe siècle numérisé[5] pour atteindre le plus grand nombre d’aventuriers spirituels de notre temps. Ces feuilles, dont sont composés des livres de sagesse, sont de nature angélique, comme nous le verrons. Elles impliquent la croyance, de la part du lecteur, en l’existence des sages, mais aussi des anges.De fait, au Moyen-Âge, l’ange joue ce rôle de sage ainsi nommé dans les récits de nos deux philosophes perses, comme nous le verrons. Il s’agit donc de ne pas douter de son appartenance au monde réel : « Quiconque mécroit en Dieu et en ses anges (…) s’égare[6] ». Cet extrait de verset coranique nous indique que l'ange tient une place importante dans la culture islamique. Son existence est considérée comme étant réelle, ce qui – du point de vue de la gnoséologie – signifie que l’affirmation autour de son existence est vraie. Pierre Lory nous dit que : « [l'] affirmation de l'existence (...) des anges, fait partie intégrante du dogme[7]» en Islam. D’ailleurs, plus loin, l’auteur utilise le terme de « croyance » à propos des anges, terme qui, selon lui, semble être synonyme de « foi » en un fait réel et avéré. Souvenons-nous que la philosophie arabe, comme pour toute philosophie, cherche à donner accès à la vérité. Mais, de quelle vérité s'agit-il ? [1] BAUDELAIRE, Charles, « Correspondances » Les Fleurs du mal, Baudoin, Paris, p. 27.[2] AVICENNE, Le Récit de Hayy ibn Yaqzân, dans Avicenne et le Récit visionnaire, trad. Henry Corbin, Lagrasse, Verdier, 1999.[3] SOHRAVARDÎ, Le Récit de l’archange empourpré, dans Henry Corbin, L’archange empourpré, Quinze traités et récits mystiques, Fayard, 1976. [4] Feuilles du jardin de Morya (Les), L’Appel, Livre Un, 1924 [1953], trad. Association Agni yoga, Yerres, 1988.[5] Voir URL : http://fr.agni-yoga.com/telechargement.php (consulté le 13 mars 2022)[6] La citation complète est : « Ô les croyants ! Croyez en Dieu et en Son messager, au Livre qu’Il a peu à peu fait descendre sur Son messager, et au Livre qu’auparavant Il a fait descendre en bloc. Quiconque mécroit en Dieu et Ses anges et Ses Livres et Ses messagers et au Jour dernier, eh bien il s’égare loin dans l’égarement ! », dans Coran, 4, 136, trad. par Muhammad Hamidullah, 10è édition, 1981.[7] LORY, Pierre, « Les anges dans l’islam », Connaissance des religions, 2004, pp. 155-156.